Sa devise est celle de l'OM : droit au but ! Ne pas s'attendre à de longues digressions sur le sexe des anges ; Chabirand appelle un minou, une chatte ; et un fumier, un salaud. Phrases courtes, concises, précises, nous avons affaire à un vrai novelliste qui a banni une fois pour toutes les circonvolutions oiseuses de son raisonnement et de son écriture. Ce qui nous donne ces trois nouvelles autant fulgurantes qu'effrayantes.
Par Jules Bénard - Publié le Jeudi 3 Juin 2021 à 11:52
Il est des choses dont on ne parle pas ! Par convention, parce qu'il ne faut pas déranger, parce que le discours d'aujourd'hui doit être convenu, aseptisé, sans aspérité, dans un formol sans odeur. Cela s'appelle de l'hypocrisie et Christoph Chabirand a, une fois pour toutes, relégué aux oubliettes les discours « élégants » voulant qu'on appelle technicienne de surface, une balayeuse et politicien, un menteur. « Vidar », première de ces nouvelles redoutables, est aussi le nom du dieu germanique de la vengeance. Alors qu'il cherche désespérément ses origines, le jeune héros parvient à faire parler sa grand-mère, ex-Vendéenne installée chez nous. Elle accepte de lui parler et l'horreur monte alors en puissance. Dans une région sous la coupe des Waffen SS, elle eut le malheur d'aimer un officier allemand. Cela était très mal vu alors... comme si l'amour se commandait ! A la Libération, son sort va être rien moins qu'enviable, maltraitée, frappée, tondue, violée par un groupe d'anciens soupirants enragés. Ça s'appelait l'Épuration et a servi de prétexte à une foule d'ignobles comportements. On ne parle jamais de ces derniers ; c'est pas bien ; ça ne se fait pas. Chabirand, lui, il le fait, avec une salutaire virulence. La suite dans votre livre...
« Origine » narre encore une quête identitaire et c'est sans doute la plus dérangeante des trois nouvelles. Dérangeante, soit, mais combien proche de la réalité. Si cela doit déranger, il ne s'agira là encore que d'hypocrites refusant de regarder la réalité en face car cela nous parle d'une Réunion où le soi-disant « vivre-ensemble » exalté sur tous les tons n'est qu'un « vivre-à-côté-de ».
Rejeté dès sa naissance parce qu'enfant dit « illégitime », adopté par un couple de braves Français de l'Hexagone, le jeune Noir n'est victime d'aucun racisme, là-bas en France. Il rencontre l'amour et ça commence en fin de compte comme un roman à l'eau de rose. Je ne déteste pas les romans à l'eau de rose, généralement très bien écrits et genre littéraire à part entière.
Cela se gâte le jour où, en compagnie de sa trop jolie femme zoreille, il revient ici à la recherche de sa famille d'origine. Et c'est ici, chez nous, au pays du vivre-ensemble qu'il va rencontrer l'horreur du vrai racisme. Et quand je dis « horreur », je pèse mes mots. Je vous laisse le plaisir et l'effroi de découvrir la suite.
« Géhenne » est l'histoire, ordinaire, presque banale, atroce, d'un jeune de la banlieue parisienne victime d'un père alcoolisé à outrance, qui ne trouvera le salut que parce qu'il existe un remède universel contre tous les maux, la musique. Cette dernière nouvelle, très courte, vient nous permettre de souffler un peu après les tourments et affres de ce qui précède.
Bravo à l'ami Chabirand qui, lui, ne nous laisse pas souffler une seconde tant ses nouvelles sont denses, touffues, ardentes.
À ne rater sous aucun prétexte !
« Origines » de Christoph Chabirand Éditions Orphie.
Jules Bénard