Les Gouttes d'eau

Christoph Chabirand nous entraîne à sa suite dans deux histoires policières dont La Réunion est l'héroïne en filigrane.

LA GOUTTE D'EAU: Une partie de pêche au large d'Etang Salé Les Bains interrompue par un coup de fil de Malartic, et les deux lieutenants Cazambo et Picard vont devoir enquêter sur un accident dans une grande entreprise de transport de La Réunion. D'autres accidents surviennent dans les jours qui suivent. La belle Laura, fraîchement embauchée dans l'entreprise, peut-elle être liée de près ou de loin à ces évènements ?

COMME DEUX GOUTTES D'EAU: On reconnait le bonheur au bruit qu'il fait quand il s'en va" aimait à dire Jacques Prévert. Xavier est heureux, tout lui réussit, mais une petite phrase anodine prononcée un soir par son meilleur ami Martial va s'insinuer dans son esprit, comme le ver dans le fruit qui, peu à peu, grossit jusqu'à le gâter complètement. Malheureusement, il n'y aura pas de papillon.

Couverture Les Gouttes d'eau

LA GOUTTE D'EAU

La semaine précédente avait été agitée pour les lieutenants Picard et Cazambo. Les routes de l’île avaient été bloquées par toute une série de manifestations contre la vie chère et la hausse du prix des carburants. Les manifestations avaient été au début pacifiques puis tout avait dégénéré quand les transporteurs routiers s’étaient joints au mouvement de révolte. Certains camions s’étaient retrouvés comme par hasard au cœur des manifestions alors qu’ils étaient chargés de galets. Il n’avait pas fallu bien longtemps aux manifestants pour réaliser que ces galets constituaient de remarquables munitions, « les grenades péï » contre les forces de l’ordre. Saint Denis et Le Port avaient alors vécu au rythme des jets de galets, des feux de poubelles, des charges musclées des C.R.S. et des vapeurs de gaz lacrymogènes. Une bonne partie des habitants toussaient et pleuraient depuis une semaine. Le week-end  approchant les choses s’étaient un peu calmées, un semblant d’ordre était revenu et Cazambo et Picard avaient pu projeter cette partie de pêche en mer avec leur ami Pierre Payet qui possédait un bateau à Etang Salé  Les Bains. Bien qu’ils n’aient pas été directement concernés par les heurts en villes, les deux policiers avaient été mobilisés toute la semaine, sans aucun instant de repos et ils savouraient par avance la journée de novembre qui s’annonçait. C’était sans regret qu’ils avaient la veille au soir fermé la porte de leur bureau de Malartic (...)

Cazambo s’interrompit. Son portable venait de sonner. Il regarda le numéro affiché.

- Merde, c’est Malartic.
- Allô!

Au fur et à mesure que Picard suivait la conversation, son visage vira au sombre des mauvais jours. Quand Cazambo raccrocha, il savait que la partie de pêche était déjà finie. Pierre avait remis sa ligne à l’eau et avait repris ses mouvements imperturbables avec la canne.

- Alors ?
- Meurtre ou accident, on ne sait pas trop, chez les frères Naguin, l’entreprise de transport. Il faut y aller. Personne d’autre n’est libre.
- Béz out momon*. Ils nous ont déjà emmerdés toute la semaine en bloquant les routes,  il faut qu’ils continuent le week-end.
- Pierre tu peux nous ramener ?
- Un petit dernier pour la route ?
- OK
- Tiens regarde ça y est.

Le pêcheur reprit cette sorte de danse virile de son buste puissant qui accompagnait les mouvements de la canne attirant peu à peu sa nouvelle proie vers l’inéluctable destin qui se conclut de la  même manière par un coup de gourdin et des flots qui rougirent la mer à l’arrière du bateau. La nouvelle prise était encore plus belle, une douzaine de kilos. Pierre reprit les commandes et lança le bateau en sens inverse. Picard et Cazambo admirèrent en silence au loin  les montagnes de La Réunion qui dévalaient la pente verte pour s’interrompre sur la plage de sable noir....