La fleur de datura est d'une beauté renversante comme Joséphine. Elle est aussi vénéneuse qu'enivrante, n'est-elle pas surnommée l'herbe du diable ? Joséphine, belle Créole, saura être à la hauteur de la réputation sulfureuse de la plante à la fleur mauve comme ses yeux…
Le soleil, surtout sous les tropiques, brille pour tout le monde, mais pour certains dealers, la rencontre avec Félix, le pianiste du Mauritius Soul, le soleil deviendra noir. Il ne faut pas tirer sur le pianiste…
Christoph Chabirand nous entraîne à sa suite dans deux histoires policières dont la Réunion est l'héroïne en filigrane. Ce Vendéen a découvert l'île en 1986 et la chante au travers de ses recueils de nouvelles précédents : Bleues nuits, Aigues-Marines, Les Contes d'Efinga, mais aussi avec son trombone. Il est musicien, leader des groupes Djazadonf et Softrio et a participé à de nombreuses expériences de musique créole (Jacqueline Farreyrol, Ti-Fock, Manyan, Kanel, Alain Ramanissum…).
DATURA ET SOLEIL NOIR
Joséphine tourna et retourna le problème. Laurent était devenu dangereux, il fallait s’en débarrasser avant qu’il pût nuire.
Il n’y a que les morts dont on est sûr qu’ils se tairont à tout jamais.
Tuer Laurent. Pourquoi pas ?
Ce projet commença même à l’exciter, des frissons de plaisirs semblables à ceux que procure l’imminence de la jouissance lui parcouraient l’échine quand elle y pensait.
Comment ?
Comment l’éliminer sans se faire prendre ?
L’attirer dans un guet-apens serait simple mais après ?
Ne pas laisser de traces, de preuves et surtout réussir son coup.
Une semaine! Elle avait une semaine pour mûrir un plan et l’exécuter.
Elle passa de longues heures à nager pour se vider l’esprit dans la fraîcheur de l’eau douce, ensuite elle restait au soleil à échafauder moult projets meurtriers, allongée sur le transat à laisser dorer sa peau nue par les rayons du matin.
Le parc sur lequel elle laissait planer ses yeux à la teinte proche de celle des fleurs de jacarandas, était magnifique, les flamboyants incendiaient la nature, Noël était proche. Les palmiers royaux grattaient le ciel de leurs palmes indolentes, la brise faisait frissonner les palmes des ravenalas. Quel bonheur de se trouver là !
Oui quel bonheur ! Mais si elle voulait le voir perdurer, il lui fallait trouver une solution.
En entendant passer au loin une moto l’idée lui vint. : l’oxyde de carbone !
Elle passa la journée à échafauder un plan, passer en revue les obstacles et à les éliminer l’un après l’autre. Quand le scénario fut au point et que tout fut clair dans sa tête, elle décida de mettre en place toutes les conditions, comme un joueur d’échecs, pose ses pièces en vue d’un échec et mat.
Le choix du jour était important, il fallait qu’elle agît un soir où Laurent serait libre et seul, qu’aussi Hector fût occupé. Cette dernière condition était la plus facile, Hector traitait des dossiers importants en ce moment et passait l’essentiel de ses nuits, retranché dans son bureau, à compulser les énormes chemises ou à passer des coups de téléphone à des conseillers.
Elle savait par Laurent que Cécile, sa femme, allait chaque mardi soir au Rotary club, pour y préparer les actions caritatives qui donnaient bonne conscience à la bourgeoisie créole. Le mardi soir était d’ailleurs souvent l’occasion de profiter du bon cœur de Cécile pour des rencontres chaudes entre Joséphine et son amant. Joséphine savait que Cécile ne rentrait jamais avant deux heures du matin de ses réunions, ce qui lui laisserait largement assez de temps pour exécuter ses funestes projets.
Nous étions samedi, mardi prochain serait parfait.
Elle téléphona à Laurent et, prétextant des révélations importantes à lui faire, ils tombèrent d’accord pour dîner à vingt heures dans un grand restaurant, où ils resteraient anonymes. Joséphine viendrait avec sa voiture qu’elle garerait à quelques rues du domicile d’Hector et ils fileraient ensemble vers le restaurant.
Pour s’assurer de la docilité de Laurent, il lui faudrait le droguer vers la fin du repas, un somnifère léger ferait l’affaire, du rohypnol par exemple, au cas où une autopsie serait ordonnée, quelques traces de ce médicament dans son sang n’éveilleraient pas les soupçons, il n’est pas rare que les candidats au suicide se donnent du courage avec de l’alcool et des médicaments avant de passer à l’acte.
Les jours la séparant de l’échéance lui parurent interminables, l’excitation croissait en elle au fur et à mesure que les aiguilles de la comtoise du salon tournaient.
Après un week-end durant lequel ni les kilomètres de nage, ni les assauts répétés d’Hector ne purent la calmer, le mardi arriva enfin.