Aigues-marines

La couleur bleutée des aigues-marines n'est pas s'en évoquer le précédent recueil de nouvelles de Christoph Chabirand: BLEUES NUITS.

La Réunion, la Vendée, la musique et la moto y sont encore bien présentes et au fil des nouvelles, on découvre des personages attachants, bizarres, parfois inquitétants, mais bien réels, qui nous ressemblent.

En pénétrant l'univers de Christoph Chabirand, le lecteur entre dans un monde contradictoire à l'atmosphère dure ou tendre, sombre ou drôle, légère ou pesante, notre monde. L'écriture y est toujours sobre, directe, précise, cotemporaine et non dénuée d'humour.

Couverture Aigues-marines

Lola

Lola était malgache et entendait bien ne pas le rester.
Pour ce faire, elle avait des atouts. Petite mais jolie, elle faisait penser à une poupée Barbie noire. Tout en elle suggérait la fragilité, sa taille réduite, son corps de petite fille, néanmoins bien dessiné et proportionné, sa voix ténue, qui obligeait le moindre interlocuteur à se pencher sur elle pour entendre ce que susurrait sa minuscule bouche, nez fin court et droit, seuls les yeux, au demeurant de taille normale, paraissaient grands dans son visage, sans doute reflets de son âme et de son ambition.
Lola était, sinon intelligente, rusée. Elle savait charmer, plaire, inspirer tour à tour le désir ou la compassion, elle pouvait jouer sur tous les registres de l'âme masculine pour parvenir à ses fins. Elle savait en outre son exotisme désirable, et désiré.

A 25 ans, il lui fallait penser à assurer son avenir, et celui-ci passait par les* "vazas".
Elle avait étudié à Tananarive le français et l'allemand, langues dont le rayonnement culturel l'intéressait moins que leur monnaie forte et le projet d'un éventuel passeport.
Elle était devenue, au fil du temps, autant polyglotte que cunnilingue, et comptait bien s'élever dans la hiérarchie sociale fourbie de cette arme redoutable qu'est la langue.
Son premier amant régulier fut un vieux « vaza » de La Réunion, il venait en « vacances » à Tana, où son grand âge n'était pas un handicap. Tant que son porte-monnaie s'ouvrirait, sa braguette elle aussi pourrait s'ouvrir.

Lola l'avait connu par une amie-collègue, et le vieux s'était attaché à Lola. Lola était subtile, elle ne monnayait jamais ses charmes, ne réclamait jamais rien, ainsi le vieux lui donnait finalement plus qu'aux autres avec en plus le sentiment qu'elle était différente.
Ils en vinrent même à habiter presque en couple à l'hôtel lors des séjours du vieux à Tana. Quand le vieux arrivait, c'était fête pour Lola, le séjour entier, elle vivait comme une petite reine, restaurants chics, boutiques de vêtements, parfums, le vieux lui passait tout.
Cela ne suffisait pourtant pas, elle avait vite su, au travers des discussions que le vieux ne se marierait jamais, il serait toujours là pour la gâter, mais le passeport permettant d'échapper définitivement à Madagascar, il ne le lui offrirait jamais.

*Vaza: Nom donné aux blancs à Madagascar.